Suite à la sortie de la série Maison Close, on fantasme beaucoup sur la prostitution de la fin du XIXe siècle. Chantal Brunel a fait le point sur la réalité des conditions de vie des filles, et pour ceux qui désirent creuser le sujet, l’excellent ouvrage d’Alain Corbin Les filles de noce : misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, paru en 1982, est là pour rappeler la politique d’enfermement, de surveillance et de criminalisation qui a conditionné le sort des prostituées de cette époque.
Si notre vision de la catin mise au ban de la société doit beaucoup au XIXe, il n’en a pas toujours été ainsi. Un livre de Jacques Rossiaud est sorti récemment (Amours vénales. La prostitution en Occident XIIe-XVIe siècle) qui établit, comme son titre l’indique, une vision d’ensemble de la prostitution en Europe durant la seconde moitié du Moyen-Age.
Je n’ai pas encore eu l’occasion de le lire, mais j’ai pu écouter un entretien de l’auteur et lire un article d’André Burguière qu’il a intitulé « Les putains respectées. »
Respectées, c’est beaucoup dire. Leur profession était considérée comme impure, ainsi que celle de bourreau par exemple, et elle devaient porter des signes distinctifs qui, s’ils n’étaient pas aussi répandus que ceux imposés aux juifs ou aux lépreux, n’en restaient pas moins stigmatisants.
En revanche, elles n’étaient pas exclues de la vie sociale comme on a pu le voir par la suite. Durant cette seconde moitié de Moyen-Age caractérisée par une certaine liberté de moeurs, le libre consentement de la prostituée étaient capital, et la condamnation se portait plus fréquemment sur les mères maquerelles que sur les filles de joie. Leur profession était reconnue au sein d’un cadre légal, et même protégée à certains égards. En outre, elles pouvaient, en cessant leur activité, trouver à se marier sans trop de difficulté, ce qui eût été impensable plus tardivement.
Quant à aujourd’hui, la situation n’est pas tellement plus reluisante qu’au XIXe siècle. On persiste à mépriser la prostituée, toute entière réduite à son activité de travailleuse du sexe, comme le dévoile l’utilisation toujours fréquente des expressions « se vendre » ou « vendre son corps », qui entretiennent la confusion entre l’Etre et le Faire.
Parallèlement, la loi sur le racolage passif de 2003 les relègue dans des zones de non-droit – bois, autoroutes, etc..- éprouvantes et dangereuses. Faute de pouvoir les enfermer, on exile les prostituées pour ne surtout pas avoir à les apercevoir.
Que l’on cesse de mépriser la putain en excusant le client ne se fera pas du jour au lendemain, même si les frontières commencent à bouger. Mais la moindre des choses serait de commencer par protéger légalement une profession qui contribue, par ses impots, au bon fonctionnement de l’Etat qui la renie.
J’espère ne pas vous blesser par mon commentaire, mais je suis affligé de lire un tel article émanant d’une femme.
Je dois reconnaître que si je n’avais pas connu la prostitution, ou plutôt le système prostitutionnel de très près, ainsi que des prostitué(e)s, je serais peut-être aussi aveuglé que vous sur le sujet. Prenons les choses au départ.
Je n’ai rien à redire à votre présentation historique, à cela près que je récuse totalement le terme de « travail » associé à la prostitution, non pour déconsidérer les prostitués, bien aucontraire -je m’en éxpliquerai plus loin.
Je me demande tout de même si l’on peut affirmer que la fin du Moyen-Age voit un « retour au corps et à l’acceptation du désir ». Il se pourrait simplement que le corps et le désir ont été systématiquement dénigrés dans les sources écrites de part la condition de ceux qui écrivaient… jusqu’à ce que d’autres les clercs écrivissent et ne laissent place, eux, au désir -trouvères, troubadours, romans, légendes, chansons -aurions-nous pas la vue faussée par les sources ?
J’en viens à ce qui me choque. Dans ce paragraphe sur à propos de l’article de Burguière, vous copiez sans broncher que « le libre consentement de la prostituée était capital ». Le noeud de votre incompréhension de la prostitution se trouve excatement ici. Aucun(e) prostitué(e) ne consent intérieurement à ce qui n’est en fait qu’une sorte de viol -rétribué- mais tou(te)s le font croire ! (Je vais rester au féminin pour les prostituées, pour faire simple, bien que des hommes -et des garçons parfois très jeunes- aient été prostitués au XVIième siècle : les castrats entre autres).
Le « consentement » de la prostituée n’est qu’un fantasme masculin, certes très répandu, mais je m’étonne qu’une femme n’en saissise pas le caractère illusoire. Mettez-vous simplement à la place de la prostituée -le dégoût, le rejet viscéral, l’obligation de nié son propre corps pour surmonter tout cela, ce viol -vous n’imaginez pas la violence extrème d’une passe. Vous n’auriez qu’à vous vendre un peu pour enfin le comprendre -mais dieu vous en garde ! Je vous préfère ignorante -mais essayez de comprendre ! Pourquoi la prostituée accepte-t-elle donc cela ? D’abord, sachez que toute rêvent -plus ou moins fort- d’autre chose. D’en sortir… Souvent sans réel espoir. C’est que derrière la prostitution il y a toujours un réseau prostitutionnel. La prostitution n’est pas un métier et n’en sera jamais un : personne de sain n’imaginera jamais qu’une relation sexuelle non consentie puisse être un gagne-pain ! Il n’y a aujourd’hui, comme hier probablement, qu’environ 1 à 2% des prostitués qui soient réellement autonomes… mais les contraintes sont de différentes natures.
La contrainte physique -menaces, privations, punitions corporelles extrèmement violentes- s’exerce souvent sur les prostitués (rappellons qu’à l’Opéra de Paris, sous le Second Empire, les « petits rats » mourraient parfois de froid et de faim faute d’avoir trouvé un « protecteur »). Ces contraintes s’exercent d’autant plus d’efficacité que les maquereaux disposent d’un pouvoir moral reconnu par tous (supérieur hiérarchique de tout type, personne de pouvoir, autorité morale, etc…). Je remarque le XVIième S. correspond à la réintroduction du droit romain, à la justification de l’esclavage -autrefois condamné par l’Eglise au nom de l’Evangile- le droit de vie et de mort sur des sujets et… des femmes. Ainsi, j’ai bien peur que ce que vous prenez pour un progrès de la condition des prostitutées n’est qu’un leurre. Le commerce de prostitutées se développe : on achète des filles à la campagne -on ment à la famille, qui comprend ou pas- et il est facile de contraindre à la prostitution une fille qui ne sait, ne peut rien faire en ville, inconnue, le vagabondage interdit… personne ne bronchera si elle est battue à mort pour apprendre son métier. De temps à autre, si besoin, une fille tuée pour faire un exemple : ce n’est pas une perte, on gagne du temps avec les autres… (je vous dis ça, cela n’a guère changé, je pourrait vous raconter des témoignages).
Bien sûr, les situations sont variables : certains maris fous ont dû, comme aujourd’hui, contraindre leurs femmes à se prostituer. Parfois la contrainte est affective, morale, la femme elle-même n’est pas psychologiquement solide (mais aucune sorte de folie n’incite à se prostituer. Etre « nymphomane » et recevoir à l’occasion des cadeaux, voire jouer à la prostituée, cela n’a rien à voir avec accepter une relation sexuelle avec n’importe qui contre de l’argent).
Un réseau, c’est bien sûr outre un maquereau, souvent des vigiles -qui protègent les prostituées des clients dangeureux et qui les empêchent, elles, de s’enfuir (avec l’un d’eux par exemple…).
Et des lieux, des « maisons », des « hôtels », etc…
Dans le monde moderne -mais coment était-ce hier ?- le « protecteur » ou « maquereau » encore appelé « mari » est souvent lui-même inféodé à une mafia qui le tient et l’exploite -lui aussi, comme la prostituée -notez comme ce mot est un adjectif- est perpétuellement « en dette » vis-à-vis de l’organisation très pyramidale.
Je ne vais pas tout vous détailler, si vous voulez savoir comment fonctionne la prostitution, lisez les brochures éditées par le « Mouvement du nid ».
Donc, tout à fait d’accord pour ne pas mépriser les prostitués. Mais hosr de question de considérer que la prostitution est un travail. Hors de question de ne pas m’insurger contre l’idée que l’on peut vendre une relation sexuelle. Cela est impossible, c’est une tragique tromperie, puisque pour l’un c’est un viol et pour l’autre la pire des comédie où il joue le mauvais rôle -car le client cherche bien souvent l’amour ou du moins la tendresse, une relation, et il est toujours renvoyé au néant sans parler de la violence qu’il contribue à entretenir chez la prostituée, pour laquelle l’argent sera une revanche à son drame, le clivage de son corps et de son âme, de son espoir et de la réalité -et cet argent, quand même il n’irait pas à un maquereau, il serait vite claqué comme un argent sale, plus que sale, poisseux, honteux, insupportable.
Oui, la loi sur le racolage passif est sans aucun bénéfice, et même plutôt mauvaise dans ses effets.
Mais la seule chose digne serait de voir enfin en face la réalité : la prostitution est un esclavage de la pire espèce. Il faut l’abolir, ce qui se fera en luttant contre les réseaux mafieux, les maquereaux et toute l’organisation qui rend la prostitution possible… enfin en éduquant l’ensemble de la population au respect du corps d’autrui, à l’éthique dans les relations humaines.
Et contrer ce courant délétère qui veut nous faire croire que la prostituée est une femme libre qui a un travail, choisi qui plus est. Rien n’est plus faux. Voyez celles qui écrivent un bouquin, prennent la tête des revendications… Soyez bien sûr que si elles peuvent gagner de l’argent autrement et avoir moins ou plus de clients du tout, elles ne vont pas continuer pour le plaisir.
Tout d’abord, cher Yoshka, sachez que je trouve votre expression « se vendre » – à laquelle j’ai eu l’occasion de faire allusion dans l’article – extraordinairement parlante, en ce qu’elle révèle à elle seule la source de notre désaccord. Une prostituée ne vend pas son corps, ne le loue pas : elle vend une prestation. Or, parler de « se vendre », c’est aller encore plus loin, car cela revient à assimiler entièrement le ou la prostitué(e) à son activité, à lui dénier toute intégrité, toute individualité.
Le fait que cette expression ne soit utilisée que pour la prostitution montre d’ailleurs toute la portée du jugement moral qu’elle implique. On ne dit pas d’un éboueur, d’une coiffeuse, d’un PDG ou même d’un publicitaire qu’il se vend. Un(e) prostitué(e)e, si. Comme si son être était tout entier réduit et conditionné par sa sexualité.
Ne considérer la prostitution qu’au sein de réseaux mafieux et de la domination de maquereaux divers vous permet d’ailleurs de lier discrètement deux questions distinctes – la prostitution forcée et la prostitution consentie – pour les réduire à un sophisme unique : puisqu’une majorité de la prostitution est sous l’emprise de proxénètes, toute prostitution est forcée, toute prostitution est un viol.
Que les femmes ou les hommes victimes de ces réseaux esclavagistes et forcés de se prostituer par contrainte ou menace soient protégés est une nécessité absolue. Lutter contre ces réseaux en est une autre.
Mais refuser ne serait-ce que de concevoir que l’on puisse choisir de se prostituer librement, c’est inacceptable, puisque cela revient dénier à ces hommes et à ces femmes tout libre-arbitre.
Quand des prostituées se syndiquent et militent pour lutter contre l’exploitation et le proxénétisme, mais aussi pour faire reconnaître leur activité comme une profession à part entière et pour obtenir une vraie protection sociale, le moins que l’on puisse faire pour les aider est de les soutenir, et non les considérer comme de pauvres victimes incapables de décider de leur sort.
Que je sois homme ou femme importe peu vous savez, mes entrailles n’ont rien à voir là-dedans (merci pour elles), il s’agit de respect de l’autre. En revanche, disqualifier la parole de celles qui sont pourtant les principales concernées, cela revient à opérer un déni de sens à travers un de ces discours condescendants et infantilisants dont on se sert si volontiers à l’encontre des femmes… Et dont le ton n’est d’ailleurs pas si éloigné de celui que vous employez à mon égard.
C’est amusant, Yoshka, que vous parliez du « Mouvement du Nid ». Une rapide recherche sur le sujet me fait tomber sur leur page wikipedia, à la fin de laquelle je peux lire :
« Le Mouvement du nid semble toutefois contesté par quelques prostituées. En effet, le 1er août 2007, menés par Camille Cabral, le PASTT et le groupe Les Putes, qui sont des groupes pour la prévention des IST et la défense des droits des travailleurs du sexe, ont manifesté devant le local d’une de leurs permanences à Paris, exigeant l’abolition de l’association et l’arrêt de ses subventions. »
Il semblerait qu’au sein même du milieu de la prostitution, votre point de vue ne fasse pas l’unanimité, mais j’imagine qu’il ne s’agissait là encore que de pauvres victimes psychologiquement instables qui ne savent pas où est leur intérêt…
Bref, Juliette a déjà très bien répondu sur l’essentiel.
Je vous invite seulement, puisque vous semblez si sûr de savoir ce que vivent et ressentent toutes les personnes prostituées sans distinction, à aller lire ce qu’en disent les principales intéressées, ici par exemple : http://site.strass-syndicat.org/2011/02/les-feministes-doivent-soutenir-et-inclure-les-travailleuses-du-sexe/
Je me fais peu d’illusions, mais peut-être prendrez-vous la peine de mettre vos préjugés sociaux et moraux de côté pour écouter ce qu’ont à dire des « travailleurs » (je mets des guillemets pour vous faire plaisir)
lassés qu’on les enferme dans un statut unilatéral de victime pour mieux parler et décider à leur place.
Bon, mettons les choses au point : je connais de l’intérieur le milieu prostitutionnel. Pas vous.
Ensuite, vous n’avez aucune idée de ce que c’est que de se prostituer. Moi si.
OUI, aucun être humain disposant d’un véritable libre-arbitre ne peut accepter de se prostituer, à moins par exemple que la vie d’un de ses enfants soit en jeu ou autre situation exceptionnelle -ce qui veut dire, sous une contrainte quelconque. OUI, une personne qui se prostitue est psychologiquement perturbée. EVIDEMMENT !!!!!!!
Savez-vous combien d’enfants violés, abusés, battus, abandonnés se retrouvent dans le milieu de la prostitution ? Car les prostitutés bien souvent ont l’illusion de « faire payer » pour se qu’ils ont subit -tout en continuant à s’infliger une violence inouïe- tombant dans une spirale de la répétition d’un schéma destructeur.
OUI, gagner beaucoup d’argent au départ donne un sentiment de puissance, quand on est souvent sans attache familial, sans diplôme, en marge. Le milieu est un substitut de famille, de lien social.
Mais c’est un milieu impitoyable. Dénoncer, c’est la peine de mort. Vouloir s’en sortir, bien souvent, entraîne au moins la même menace.
Voilà pourquoi tout le monde se prétend libre.
Les soputeneurs ? Le milieu ? Il n’y en a pas ! Il n’y en a plus… et vous y croyez, vous, naïfs enfants de la chance.
Car la drogue, en plus de l’alcool, vient souvent permettre aux prostitués de « travailler », comme vous dites…. comme ils disent, eux aussi. Pas tous ? ESSAYEZ VOUS-MEMES !!!!!!!!!!!
Mes dealers sont donc parfois de vrais maquereaux. D’ailleurs les prostitués sans souteneurs sont généralement de vrais junkies, ingérables, mais totalement dépendants. En général c’est sans préservatifs, les junkies, si ça vous intéresse.
Ce qui est terrible, c’est la perversité du discours actuel pour faire croire que la prostitution est quelque chose de sain exercé par des personnes libres.
D’une part, ces personnes ne sont qu’exceptionnellement libres. Et lorsqu’elles le sont, OUI, elles méritent une aide pour s’ensortir, et pas un « respect » mal placé. C’est exactement comme si vous laissiez quelqu’un qui s’automutile s’achever sous prétexte de son libre-arbitre.
Et surtout, la façon dont le réseau se cache et utilise toutes les revendications légitimes pour justifier et développer ses activités inhumaines est terrible.
Le respect : mais qui vous a dit que je ne respecte pas les prostitués ? Vous en connaissez combien, vous ? Vous en aimez combien ? Vous savez leurs rêves ? leur quotidien ? leurs drames ?
Vous croyez vraiment que les prostitués ont une vie en-dehors du milieu ? C’est strictement interdit : pas question de pouvoir s’échapper, de rêver trop fort.
Et aussi, on surfe, comme hier pour la pornographie, sur la « libération sexuelle »… que savez-vous de l’industrie pronographoque d’aujourd’hui ? Vous croyez vraiment que c’est l’épanouissement du désir, de la femme, que les actrices sont libres, saines, pas exploitées, qu’on y respire la joie de vivre et l’amour ?
OUI, « vendre son corps » pour une « relation » sexuelle -sauf qu’il n’y a aucune relation que mécanique- détruit le sujet parce que le corps, et en particulier le corps intime, est indissociable de l’esprit ! C’est d’une telle évidence que je m’inquiète de devoir l’écrire. Une personne prostitutée a un corps bloqué, fermé, noué, mutilé dans son fonctionnement normal, -un corps finalement nié dans sa réalité de partie d’être vivant, par elle-même, par le client, et malheureusement par vous ausi, qui voulez faire comme si la personne n’était pas son corps. Ce qui est un non-sens. Ce qui ne veut pas dire que je ne respecte pas les prostitués !!!!!!!!!!!!!!
C’est le contraire : pensez ques les prostitués sont des esprits séparés de leurs corps, des choses coupées en deux, c’est les nier en tant qu’être vivants. Vous, vous vous autorisez à avoir un corps, à vivre, à jouir. Eux, elles… c’est différent -ils sont libres.
Mais ils ne sont pas libres si vous leur refusez un corps !!!
J’aimerais bien vous voir à l’ANPE -pardon, Pôle Emploi- pointant au chômage, et vous entendre dire : « Nous avons une place pour vous de prostitué(e) à « La maison pourpre » à Paris. Soit vous prenez, soit vous ne touchez plus votre indemnité…
Amusant, non ? C’est un travail, paraît-il.
Vous connaissez des enfants de prostituée ? Moi oui… je peux vous dire que les troubles psychologiques de ceux-ci ne proviennet pas seulement du regard de la société sur les prostitués !!
Pour conclure provisoirement, je ne suis pas opposé du tout à ce que les prostitués soient enregistrés comme travailleurs, et ils le sont, lorsqu’ils sont indépendants, via les BNC. Mais considéré leur activité comme un travail, c’est à mon sens extrêmement pervers.
Un dernier mot : vous me prétez des « préjugés sociaux et moraux ». Si je condamne la prostitution, ce n’est pas a priori, mais en connaissance de cause : je sais que c’est un acte barbare d’une extrème violence. Je suis contre la torture, la violence, et toutes les formes d’esclavage, qu’elles soient subtiles et perverses autant que manifestes.
Ensuite, et là est peut-être l’essentiel, il y a quelques anciennes prostituées qui ont fait l’effort de parler, de témoigner : lisez-les ! Je ne déni la parole à personne, je ne disqualifie aucun discours, simplement vous vous laissez prendre au piège d’un discours d’esclave dont je sais, par expérience, qu’il n’est qu’un immense trompe-l’oeil.
Je suis désolé si j’ai été condescendant ou infantilisant dans mes commentaires, je vous prends très au sérieux.
Amicalement,
Yoshka.
P.S.
http://sisyphe.org/spip.php?article840
http://forum.aufeminin.com/forum/loisirs2/__f2850_loisirs2–confessions-indecentes-le-temoignage-coupant-d-une-ancienne-prostituee.html
Yoshka,
Vous êtes très virulent sur ce sujet et je ne doute pas un seul instant que vous n’ayez effectivement vu/vécu des choses terribles. Vous avez certainement plus d’expérience que moi, qui n’en ai effectivement aucune, sur la question. Néanmoins, je continue de penser que vous avez tort.
Je voudrais vous répondre sur chaque point, mais je vais essayer d’être plus synthétique. Je me permets donc de vous citer des extraits d’un article de blog sur la question, parce qu’ils résument bien ce que je pense, et sûrement mieux que je ne le ferai moi-même :
« Je ne crois qu’on puisse être « pour » ou « contre » la prostitution. Que certain(e)s moralisent la notion de consentement en vue de l’assimiler à la notion de désir, faisant ainsi du sexe une chose sacrée qui ne peut se pratiquer en dehors d’un désir réciproque d’accomplissement sensuel et amoureux, ça me dépasse. C’est à mes yeux la négation même de la liberté.
Et je commence également à être copieusement saoulée par l’amalgame facile entre prostitution et esclavage : la traite des êtres humains est une abomination. L’esclavage est horrible. Mais la prostitution est une notion différente. Et si on reconnaissait aux putes le droit de bosser dans des conditions correctes, on lutterait par là même contre l’esclavage, la clandestinité, la torture, le viol, le proxénétisme.
(…) Enfin, rappelons une évidence que les anti-putes se gardent bien d’admettre : il n’y a pas UNE prostitution, mais DES personnes prostituées. La prostitution prend des formes variées, et parfois surprenantes. Réduire les putes à la mise en esclavage de jeunes filles anciennement victimes de sévices sexuels est aussi débile que prétendre que toutes les putes sont des entrepreneuses libres et heureuses. Il y a de multiples schémas et parcours qui mènent à la prostitution, mais il me semble bien plus productif de lutter contre la violence, la traite des êtres humains, le viol, la proxénétisme et autres saloperies, que contre la prostitution, qui à cause d’une législation assez répugnante cristallise autour d’elles ces divers fléaux. Si la loi permettait aux putes de bosser décemment, la violence, le proxénétisme et l’esclavage reculeraient probablement. »
(La totalité de l’article est ici : http://www.zonezerogene.com/magazine/mauvaise-humeur-le-feminisme-anti-putes-me-gave/11/02/2011/)
Il me semble particulièrement important de souligner comme le fait cette chroniqueuse qu’il est absurde d’avoir une vision unilatérale de la prostitution, dans un sens comme dans l’autre. Encore une fois, j’ai bien compris que vous avez été confronté à des situations très difficiles, qui probablement même, doivent constituer la majorité de la prostitution.
Mais quand bien même 95% des prostituées le seraient dans les conditions que vous décrivez, que fait-on des 5% restants ? Si vous parveniez par miracle à éliminer tous les fléaux (drogue, proxénétisme, violence) liés à la prostitution, mais qu’il y ait encore des personnes pour vouloir se prostituer malgré tout, que leur diriez-vous ?
Vous ne pouvez pas leur interdire de le faire sous prétexte que leur vision ou leur ressenti du corps ne correspond pas à la vôtre. Concevez-vous seulement qu’on puisse envisager le corps d’une façon différente de la vôtre ? Oui, le corps est indissociable de l’esprit, cela ne signifie pas pour autant que vendre une prestation sexuelle détruirait l’un ou l’autre. Tout le monde ne partage pas votre vision sacralisante du sexe !
Quelques points en vrac pour finir :
– Votre anecdote sur l’ANPE est hilarante, vraiment. Néanmoins, sachez qu’on se voit privé de ses indemnités uniquement si on refuse des offres liées à son domaine d’activité. En tant qu’assistante d’édition, je doute qu’on me fasse une telle proposition, et je serais parfaitement en droit de leur rire au nez si tel était le cas.
Maintenant, si derrière cette provocation facile, vous cherchiez à me piéger pour me faire dire que non, je ne serais pas prête à me prostituer, félicitations pour votre brillante stratégie, vous m’avez démasquée. Mais il y a un tas de choses que personnellement, je ne serais pas prête à faire contre de l’argent, tandis que d’autres gens n’y verraient aucun inconvénient : faut-il toutes les interdire sur ce critère ? (Au moins, il n’y aurait plus d’abattoirs non plus, ce serait toujours ça de gagné.)
– J’ai bien lu vos liens, ces témoignages sont poignants, et je ne nie aucunement que ces personnes là doivent absolument être aidées et sorties de la prostitution. Je vous ferais seulement remarquer que d’autres prostitué(e)s, certes moins nombreux si vous voulez, racontent des histoires différentes, pensent des choses différentes,comme dans le lien que je vous ai donnés plus haut. Pourquoi le témoignage des premiers seraient-il forcément universellement valable, tandis que celui des seconds serait inévitablement un « discours d’esclaves » se trompant sur eux-même ? Ces personnes prennent la peine d’élever la voix et d’affronter le regard des autres pour faire entendre ce qu’elles ont à dire, de quel droit balayez-vous ainsi leur parole en leur déniant la capacité à faire leurs propres choix ?
– Puisque vous parlez des actrices de films pornographiques, je ne peux que vous inviter à aller lire ce qu’en dit Judy Minx sur son blog, ici notamment : http://imsoexcited.canalblog.com/archives/2010/02/05/16810098.html
Ce texte a énormément changé ma propre vision des choses. Et il est impossible de prétendre qu’il s’agit là d’un discours de victime inconsciente de ce qu’elle fait : cette jeune fille est une militante qui a énormément lu, pensé, écrit sur sa condition de travailleuse du sexe.
Je terminerai en me permettant de faire remarquer que finalement, sur l’essentiel, nous sommes d’accord et nous voulons la même chose : la fin des violences infligées aux êtres humains dans le cadre de la prostitution. Simplement, je n’étends pas ma condamnation à l’activité en elle-même en général : je n’idéalise pas la prostitution, je n’en fais pas l’étendard de la libération sexuelle ou je ne sais quoi, je dis simplement que s’il y a des personnes qui se revendiquent travailleurs/ses du sexe de façon libre et choisie, je ne vois pas de quel droit je les empêcherai d’exercer leur activité dans des conditions correctes.
Il me semble, si vous avez vu les quelques liens que je vous ai mis, que vous n’avez pas compris ce qui, il faut le diree, n’était que superficiellement abordé et passait très vite, trop vite, sans être approfondi.
En particulier :
-Le passage où une ex-prostituée dit que toutes sont passé par un moment où elles se persuadaient être consentante et avoir choisi la prostitution.
Le milieu est le lieu du mensonge, à tous les niveaux ; mais la prostitution aussi, mensonge à soi-même -comme le dit la canadienne je crois( lien texte), pourquoi les protitutées indépendantes tombent systématiquement sous l’emprise de l’alcool et des drogues ? (J’ai aussi croisé une étoile filante, je peux vous assurer que les ravages de la prostitution sur celui qui se prostitute sont toujours les mêmes, parce qu’ ON NE SE PROSTITUE PAS PAR HASARD. Quelqu’un qui se prostitue « librement » souffre déjà énormément et ne fait que s’engager dans une spirale bien souvent fatale).
-l’autre passage où une hôtesse de l’air hollandaise au chômage se voit proposer par l’ANPE locale un « travail »… de prostituée. Ce n’est donc pas une mauvaise blague mais la logique même de votre discours prise au mot. La suite étant l’orientation des jolies jeunes filles en échec scolaire vers ce travail facile et censément lucratif.
-la perversité des effets de l' »officialisation » de la prostitution -mais avez-vous vu les trois parties du petit film ?
D’autre part, vous avez raison sur l’esclavage, l’amalgame n’est peut-être pas une bonne chose, car en dehors des cas où l’esclave est aussi esclave sexuel, je dois admettre que je trouve la prostitution encore bien pire. Et ce qui la rend si terrible c’est bien qu’elle s’appuie sur la faiblesse psychologique des prostitués (ce qui était bien mis je crois en évidence je crois dans le documentaire).
Vous ne dites rien du fait incontestable que toutes les personnes prostitutées ont déjà subies des violences, des viols, ou des situations affectives ou morales très dures. Rien non plus sur l’âge extrèmement précoce d’entrée dans la prostitution.
En fait, vous voulez à tout prix sauver un discours « libertaire » entièrement théorique, mais dramatiquement coupé de la réalité. « Le droit de disposer de son corps ». Mais justement, c’est le client -et les maquereaux, s’ils y en a- qui disposent de celui-ci ! Faudrait-il que vous vous prostitutuiez vous-même pour le comprendre enfin ?
Relisez le récit de la canadienne et vous verrez l’idiotie du mouvement de protection des prostituées… Elle voudrait sortir de la prostitution mais elle n’en a pas les moyens, et tout ce qu’on lui propose, c’est d’y rester !…
C’est vrai, c’est très difficile d’en sortir, et le discours qu’on lui tient au centre qui la sauvera finalement, est le seul qui fonctionne (RELISEZ !). « C’est pas la peine de nous mentir », lui dit-on. A moi non plus, on ne fait rien accroire.
Mais pourquoi VOUS tombez dans le panneau ?
Et puis qu’est-ce que c’est que cette histoire de sacralité de la relation sexuelle ? Comment faites-vous pour ne pas sentir la violence d’une « relation prostitutionnelle » ? Vous êtes faites en quelle matière ? Avez-vous un coeur, un coeur, une sensibilité ? Ou vous pensez que les prostitués sont des extra-terrestres ?
Vous êtes mignonnne avec vos abbatoirs. Mais vos jolies idées théoriques complètement déconnectées de la réalité humaine peuvent envoyer pas mal de femmes et d’hommes à l’abbatoir ! C’est terrible, l’habileté du milieu pour faire passer ce qui l’arrange, en utilisant, en RETOURNANT des revendications libertaires et féministes. Comme dit si bien la canadienne, doit y’avoir de gros bonets là-dessous… et pas des imbéciles, ajouterais-je.
J’ai d’ailleurs du mal à coire que le texte donné dans un lien ci-dessus, si bien écrit, si rhétorique, si universitaire, ait été écrit par une prostituée militante. bBen que tout soit possible, j’ai un feeling qui me dit que non… Bien entendu, c’est invérifiable.Il est très habile, le milieu. Et très bon teint. En plus, les femmes du milieu tiennent si bien leur rôle. Mentir : elles font ça tout le temps.
Et avez-vous une idée de la dose de courage qu’il faut pour parler après ?
Savez-vous la sanction ?
Le milieu a décidé sa modernisation sur le modèle Hollandais, qui lui fait concurrence en France. Il forme donc un bataillon de prostituées « militantes ». Elles seront dispensées de faire leur chiffre habituel les jours de comédies publiques. « C’est toujours ça de gagné », se disent-elles. Si l’une avait l’idée saugrenue de dénoncer quoi que ce soit -le texte que nous pouvons lire déjà tapé, leur recrutement, etc… je ne donne pas cher de sa peau. Voilà ce que je me dis quand j’apprends que certaines manifestent devant le « Mouvement du nid ». Car enfin, cette organisation n’ a jamais empêché une prostituée de « faire son boulot ». Elle se borne à permettre à celle qui le souhaitent (et le peuvent) de s’en sortir. Quel est donc son principal ennemi ? LE MILIEU.
Le bien nommé, puisqu’il semble réussir à coloniser des esprits a priori assez sains.
Le mensonge généralisé du milieu est peut-être à l’image de notre société toute entière.
Si vous gobez les mensonges les plus énomes et les plus tragiques de conséquences, vous avez et vous aurez la société que vous méritez.
Je continue à rêver d’autre chose.
Bien à vous,
Yoshka.
La présentation du livre aborde brièvement la question de la parole des prostitués.
http://www.mouvementdunid.org/Prostitution-et-Societe-no150-la
Sur la « légalisation » :
http://www.mouvementdunid.org/Les-effets-pervers-de-la
sur la psychologie des prostituées :
http://www.mouvementdunid.org/Psychologie-les-chemins-de-la
D’autres sujets…
http://www.mouvementdunid.org/-La-prostitution-